Photo "La fenêtre de Platon" par Metallurgeek |
La fenêtre de Platon
Gamin je me souviens, on m'a enseigné la caverne de Platon. C'était en cours de philo. Et à l'époque j'avais très très très mal compris.
À ma décharge, ma voisine de classe m'avait demandé de bien vouloir déposer un peu de vernis à ongle sur le haut de son bas, lequel venait malencontreusement de filer…
Hormones 1 – Platon 0.
Et donc j'en garde un souvenir assez vague. De la caverne de Platon hein. Parce que de ma voisine de classe je garde un souvenir plutôt précis.
J'ai compris qu'en gros le soleil symbolise la faculté de révéler les vérités essentielles. Il éclaire toutes les choses véritables au dehors. Mieux que ça, il éclaire les modèles idéaux des choses. Nous, pauvres humains, ne sommes pas dehors. Nous sommes à l'intérieur de la caverne. Là, nous observons au mieux les ombres portées. Des instances d'objets plutôt que les classes.
Ma voisine pendant le cours de philo s'appelait Jenny. Elle avait un large sourire, un menton franc avec une fossette, beaucoup de joie et de vie dans toute sa personne. Elle portait du vernis à ongles et un bas filé.
J'ai conservé le vague souvenir qu'un feu brûlait dans la caverne. Feu qui lui-même projettait des ombres. Ça m'a suffi pour en concevoir une récursion infinie, une caverne dans une caverne dans une caverne. Je ne sais pas si c'était dans l'idée initiale de Platon, je lui demanderai à l'occasion.
Jenny avait une maturité sensuelle et amoureuse infiniment supérieure à la mienne. À l'âge où tout en moi était panique, improvisation et vantardises fantasmées, Jenny était calme, certaine de sa séduction et honnête en sentiment.
De la caverne de Platon j'ai gardé l'idée que le raisonnement juste du philosophe permettait de s'en extraire. Sortir pour voir au-delà des apparences et des phénomènes. Comme on sort de la bouteille à mouches de Wittgenstein.
Ce matin de 2025, le soleil d'hiver traverse ma fenêtre. Les rayons roses de l'Est traversent la pièce et tracent un jeu d'ombres sur le mur intérieur. De cette lumière du dehors nait une autre fenêtre, projetée, ombrée, filigranée. Et pourtant idéale. Des images qui se répondent, en somme, des ombres où le vrai est partout pour peu qu'on l'observe avec intensité.
Je me souviens de la phalange de mon index effleurant le plus légèrement possible le haut de la cuisse de Jenny. Son sourire. Le hurlement du sang dans mes tempes. La gueulante du prof qui réclamait l'attention de la classe. « Bon sang, la caverne de Platon c'est essentiel ! Et je vous signale que ça tombe régulièrement au bac ! »
Je pense à tout ceci en regardant ma fenêtre d'ombre et de lumière. Et je sursaute quand, levée sans un bruit, tu viens m'enlacer les épaules.
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