À un certain moment de ma vie j'ai eu 17 ans. Période relativement bordéleek qui a duré environ un an. Entre autres caractéristeeks intéressantes, il y avait la fréquence des contrôles d'identité.
Papiers siouplé !
Je ne sais pas bien pourquoi, mais à
cette période tout le monde cherchait à vérifier mon identité :
dans la rue, dans le métro, devant le lycée, une fois même dans un
bar où la police avait fait irruption. Ahhh, les contrôles
d'identité : difficile exercice à une période où – justement -
l'on n'est pas certain de son identité.
Comme un goût amer
Amusants au début, ces contrôles
répétés - au moins deux par semaine avec des pointes jusqu’à trois
par jours ! - ont vite pris une tournure agaçante. Un côté mécaneek
et débilitant. Chaque contrôle me laissait comme un
goût amer, une sensation de vacuité bien particulière et des
questionnements infinis
- Quel danger terrible un zèbre de 17 ans représente-t-il, que chacun veuille absolument s'enquérir de son identité ?
- Question plus insidieuse encore : si l'on considère "normal" d'être contrôlé deux fois par semaine, si on s'y habitue, sera-t-il normal d'être contrôlé deux fois par jour ? Deux fois par heure ? Par minute ?
- La fréquence des contrôles a-t-elle la moindre incidence sur la véracité du résultat ?
- Et puis il y a la question délicate de "qui" contrôle "qui" : puis-je contrôler le contrôleur, Quis custodiet ipsos custodes? https://fr.wikipedia.org/wiki/Quis_custodiet_ipsos_custodes%3F
- Etc.
Liberté, liberté chérie
Et puis... du temps est passé... mon
look s'est assagi et les contrôles se sont espacés. Limite vexant :
plus personne ne souhaitait s'enquérir impromptu de mon identité.
J'étais redevenu l'anodin anonyme lambda. Il est fort possible alors
que vous m'ayez croisé sans même le savoir. Et vice versa.
Enfin donc j'en avais terminé avec ces
contrôles d'identité aussi systémateeks qu'absurdes...
Liberté numéreek, liberté numéreek chérie
Dans les années 1990-2000 on a inventé quelque chose de sympa, l'identité numéreek ! Et même LES IDENTITES
NUMEREEKS. Truc de ouf : on pouvait-être qui on voulait, ce qu'on
voulait, autant qu'on voulait. Et comme on voulait : proche de notre identité
réelle (même nom, même adresse, même compte en banque) ou au
contraire très éloigné (pseudonyme, bitcoins).
La liberté numéreek quoi. Je m'y suis
vautré. Il est fort possible alors que vous m'ayez numériquement
croisé sans même numériquement le savoir. Et vice versa.
La liberté numéreek vous dis-je !
La liberté numéreek vous dis-je !
Password siouplé !
Et ben non. Parce qu'on a inventé en
même temps le contrôle d'identité numéreek. Et même LES
CONTRÔLES d’identités numéreeks. Login, password, captcha,
question secrète (le nom de jeune fille de mon chien en classe de CP), double authentification, numéro de suivi, code
biométreek, sms et emails de confirmation. Avec toutes les identités
que j’utilise, je passe mon temps à répondre à des contrôles
d'identités numéreeks.
Persuadé de l'utilité de tout ça, je
n'y a pas prêté grande attention. Jusqu'à cette fameuse journée
où j'ai décidé de compter combien de fois j'ai eu besoin de prover
mon identité numéreek.
34 fois.
Comme un goût numéreek amer
Ce jour-là, j'ai retrouvé le fameux goût amer,
la sensation de vacuité. Tout pareil qu'à mes 17 ans. Et les mêmes
questionnements. Sur deux points en particulier :
- Qui contrôle qui ? En version numéreek ça pourrait se dire "qui identifie/authentifie qui ?" avec le corollaire intéressant : suis-je bien au courant (électrique) de toutes les fois où je suis identifié ?
- Autre point, la fréquence des contrôles : 34 fois par jour est-ce normal ? Pourquoi pas 34 fois par heure ? Ou 34 fois par minute ?
Difficile de se balader anonymement
dans la rue numéreek...
Travaux prateeks
Faites donc l'exercice en conscience,
comptez systématiquement les demandes de preuve d'identité
numéreek, les grandes comme les petites : pin code pour téléphone
ou carte bancaire, login/password sur votre email perso, au boulot,
sur des services en ligne, y compris les pseudos (typiquement sur
Facebook), formulaires à remplir, achats en ligne, automates
téléphoneeks à renseigner, clés Wi-Fi et autres, etc. Tiens, même pour commenter ce billet vous devrez éventuellement décliner une identité...
Faites le compte, multipliez le
résultat par 10, 100, 1000... demandez-vous jusqu'à combien ça
vous semble "normal".
Image du film Brazil, la vision délirante (ou pas) de 1984 par Terry Gilliam. |
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